Une biographie de l’homme d’Etat
pragois, figure de la diplomatie de l’entre-deux-guerres, signée Antoine Marès
Qui se souvient encore en France d’Edvard Beneš (1884-1948),
probablement le dirigeant européen le plus francophile et fidèle allié que le
pays n’ait jamais compté ? La première biographie en français d’un des
dirigeants tchécoslovaques majeurs du XXe siècle que vient de publier
l’historien Antoine Marès, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, spécialiste
de l’Europe centrale, se propose de réparer cet injuste oubli. Disputé à Prague
au point que son héritage politique soit l’enjeu de scrutins présidentiels
comme en 2013 lors de l’élection de Miloš Zeman, honni par nombre d’Allemands
et par certains Slovaques, Edvard Beneš fut une personnalité européenne
incontournable au cours de la première moitié du XXe siècle.
Sa longévité politique qui enjambe les bouleversements
politiques et territoriaux, économiques et sociaux qu’a connu le continent en
quelques décennies est exceptionnelle. Peu de dirigeants, en particulier
démocratiques, qui ont croisé son chemin pendant ces années, n’ont connu un tel
destin. De ses premiers pas en politique à Prague, au début des années 1910
dans l’Autriche-Hongrie, jusqu’à sa mort en septembre 1948, peu après avoir
assisté impuissant à la prise de pouvoir des communistes et la mise sous
tutelle soviétique du pays auquel il a consacré sa vie, Beneš a occupé pendant
trente ans le devant de la scène tchécoslovaque et européenne.
Ce fils de paysan devenu professeur d’université et
journaliste fut, pendant son premier exil à Paris entre 1915 et 1918, le plus
proche collaborateur du « Père fondateur » et premier président de la
Tchécoslovaquie indépendante, Tomáš Garrigue Masaryk. Fils spirituel et ami, il
fut son ministre des affaires étrangères sans interruption de 1918 à 1935 où il
est élu à la succession du patriarche. Il retrouva en 1945 le Château de
Prague, siège présidentiel, après presque sept années passées à Londres aux
commandes du gouvernement en exil.
Cette biographie, fruit d’un impressionnant travail de
recherches dans les abondantes archives, fourmille d’anecdotes et de détails
qui permettent de saisir le fonctionnement et l’évolution – mais aussi les
blocages – d’Edvard Beneš, travailleur acharné et homme de réseau. Elle
s’applique aussi à inscrire son parcours dans l’histoire européenne de son
temps en privilégiant la dimension française.
Cet ardent francophile, formé dans les universités de Paris et Dijon,
très proche de nombreux responsables politiques et diplomatiques hexagonaux,
vouait une confiance sans borne à la France.
Elle ne l’a pas payé en retour, en abandonnant piteusement la
Tchécoslovaquie à Hitler, ce que Beneš considéra comme une
« trahison ». Le général de Gaulle qui lui exprima, dans leur exil
commun à Londres, sa réprobation des honteux Accords de Munich, contribua à
tempérer son ressentiment.
Fuyant l’hagiographie comme le pamphlet, Antoine Marès,
au-delà d’une analyse psychologique de l’homme d’État, tente de comprendre les
raisons de ses échecs à travers une mise en contexte systématique. Homme de la
négociation, Edvard Beneš a pensé que par sa méthode - qui lui a si bien réussi
entre 1915 et 1918, pendant la Conférence de Versailles puis jusqu’au début des
années 1930 -, il pouvait convaincre ou circonscrire ses opposants et
adversaires. Diplomate corps et âme,
démocrate et pacifiste, même s’il prépara son armée à la guerre qui n’eut pas
lieu, il concevait très mal l’emploi de la force. Hitler et les Allemands des
Sudètes, puis Staline et les communistes tchécoslovaques lui ont prouvé son
erreur.
Martin Plichta
EDVARD BENES, UN DRAME ENTRE HITLER ET STALINE d’Antoine Marès, Perrin,
506 p., 26 €
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