jeudi 5 février 2015

Edvard Benes, conscience tchécoslovaque


Une biographie de l’homme d’Etat pragois, figure de la diplomatie de l’entre-deux-guerres, signée Antoine Marès



Qui se souvient encore en France d’Edvard Beneš (1884-1948), probablement le dirigeant européen le plus francophile et fidèle allié que le pays n’ait jamais compté ? La première biographie en français d’un des dirigeants tchécoslovaques majeurs du XXe siècle que vient de publier l’historien Antoine Marès, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’Europe centrale, se propose de réparer cet injuste oubli. Disputé à Prague au point que son héritage politique soit l’enjeu de scrutins présidentiels comme en 2013 lors de l’élection de Miloš Zeman, honni par nombre d’Allemands et par certains Slovaques, Edvard Beneš fut une personnalité européenne incontournable au cours de la première moitié du XXe siècle.

Sa longévité politique qui enjambe les bouleversements politiques et territoriaux, économiques et sociaux qu’a connu le continent en quelques décennies est exceptionnelle. Peu de dirigeants, en particulier démocratiques, qui ont croisé son chemin pendant ces années, n’ont connu un tel destin. De ses premiers pas en politique à Prague, au début des années 1910 dans l’Autriche-Hongrie, jusqu’à sa mort en septembre 1948, peu après avoir assisté impuissant à la prise de pouvoir des communistes et la mise sous tutelle soviétique du pays auquel il a consacré sa vie, Beneš a occupé pendant trente ans le devant de la scène tchécoslovaque et européenne.

Ce fils de paysan devenu professeur d’université et journaliste fut, pendant son premier exil à Paris entre 1915 et 1918, le plus proche collaborateur du « Père fondateur » et premier président de la Tchécoslovaquie indépendante, Tomáš Garrigue Masaryk. Fils spirituel et ami, il fut son ministre des affaires étrangères sans interruption de 1918 à 1935 où il est élu à la succession du patriarche. Il retrouva en 1945 le Château de Prague, siège présidentiel, après presque sept années passées à Londres aux commandes du gouvernement en exil.

Cette biographie, fruit d’un impressionnant travail de recherches dans les abondantes archives, fourmille d’anecdotes et de détails qui permettent de saisir le fonctionnement et l’évolution – mais aussi les blocages – d’Edvard Beneš, travailleur acharné et homme de réseau. Elle s’applique aussi à inscrire son parcours dans l’histoire européenne de son temps en privilégiant la dimension française.

Cet ardent francophile, formé dans les universités de Paris et Dijon, très proche de nombreux responsables politiques et diplomatiques hexagonaux, vouait une confiance sans borne à la France.  Elle ne l’a pas payé en retour, en abandonnant piteusement la Tchécoslovaquie à Hitler, ce que Beneš considéra comme une « trahison ». Le général de Gaulle qui lui exprima, dans leur exil commun à Londres, sa réprobation des honteux Accords de Munich, contribua à tempérer son ressentiment.

Fuyant l’hagiographie comme le pamphlet, Antoine Marès, au-delà d’une analyse psychologique de l’homme d’État, tente de comprendre les raisons de ses échecs à travers une mise en contexte systématique. Homme de la négociation, Edvard Beneš a pensé que par sa méthode - qui lui a si bien réussi entre 1915 et 1918, pendant la Conférence de Versailles puis jusqu’au début des années 1930 -, il pouvait convaincre ou circonscrire ses opposants et adversaires.  Diplomate corps et âme, démocrate et pacifiste, même s’il prépara son armée à la guerre qui n’eut pas lieu, il concevait très mal l’emploi de la force. Hitler et les Allemands des Sudètes, puis Staline et les communistes tchécoslovaques lui ont prouvé son erreur.

Martin Plichta


EDVARD BENES, UN DRAME ENTRE HITLER ET STALINE d’Antoine Marès, Perrin, 506 p., 26 €

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